L'avocat débiteur d'une obligation de conseil doit... une mise en garde (?) pour une cession de droits sociaux (Cass. civ., 10 nov. 2021, n° 20-12235)



Le juge est sévère avec l'avocat débiteur d'une obligation de conseil, c'est normal car, à la différence d'autres professionnels (la banque notamment), la mission de l'avocat mérite la plupart du temps la qualification de "contrat de conseil" (expression que l'on ose pour une énième fois). Le cœur de la convention porte directement sur diverses obligations de conseil. Que l'avocat assiste, représente ou rédige (ou les trois à la fois successivement), le conseil semble s'imposer (semble = à voir). L'obligation n'est plus accessoire, l'accessoire d'une prestation principale, mais l'essentiel de la convention (on simplifie).

Alors oui pour ce type de contrats sans discussion, il faut convenir que dans un contrat de conseil il y a des obligations de conseil. L'avocat qui rédige pour autrui est toujours susceptible d'être recherché pour défaut de conseil, quelle que soit l'acte rédigé (les assignations et conclusions médiocres semblent peu attaquées alors que parfois le lecteur des décisions s'étonne des procès conduits, sans doute le client est-il généralement averti de n'avoir que peu de chances de succès et, mis en garde, il a néanmoins tenu à ester en justice).

Le Barreau s'honore d'engager sa responsabilité quand le conseil n'est pas bon, personne n'est irréprochable et chacun commet, plus qu'à son tour, des fautes.

L'espèce de ce 10 novembre semble reprocher à un avocat de ne pas avoir informé (?) des acquéreurs de droits sociaux (d'une société exploitant une entreprise) d'un fait qui semblait assez connu... et c'est là le problème. Il ne peut pas y avoir de mise en garde sur un fait connu : sur un état juridique et un risque connus (du moins la plupart du temps en jurisprudence et en pure logique...).

Cette cession de droits sociaux, acte extra-statutaire et autonome de la vie sociale, cette cession est "en fait" une cession d'entreprise ; le droit français ne connaissant pas cette dernière opération, elle se niche dans la cession de la majorité ou totalité des droit sociaux (parts ou actions) des associés à une ou plusieurs personnes (les futurs associés). On est donc en présence d'une opération concernant une entreprise et, de fait, d'une cession d'entreprise (outre son absence de la loi le juge la résume ainsi en début d'arrêt).

Le juge d'appel avait constaté que diverses annexes de l'acte mentionnaient une exploitation sur le domaine public. Il estima donc que l'acquéreur connaissait la situation juridique.

Le juge du fond se fait casser, mais seulement pour défaut de base légale, alors qu'il avait relevé que divers documents prouvaient que l'acquéreur savaient que l'exploitation commerciale (Le café du Port a priori), de la société, était finalement précaire à raison de divers documents annexés à l'acte. Ils indiquaient nécessairement que la concession en cause n'était pas un bail commercial (qui offre toute garantie).

Deux remarques suivent.

Il faudrait savoir ce que l'avocat doit faire : informer n'est pas avertir (mise en garde) ni n'est conseiller. L'arrêt de cassation, à être sévère, devrait être précis. Une lettre (un mot, un email) disant, bien souligné :

- "Je vous informe que l'exploitation est précaire" (pure information, on simplifie) ;
- Ou bien l'avocat doit-il dire "je vous informe que l'exploitation est précaire parce que ceci cela..., ce qui en droit pourrait amener la perte du fonds de commerce", ce qui serait une obligation d'éclairer sur le mode de celle imposée à l'assureur ?
- Ou bien l'avocat doit-il dire "je vous informe que l'exploitation est précaire, ce qui signifie que vous encourrez le risque de perdre le fonds de commerce en perdant le droit d'occupation" (là, c'est de la mise en garde) ?
- Ou bien doit-il dire cela et, ajouter : "en conséquence, je vous déconseille de réaliser cette opération qui risque de vous causer un très important préjudice" ? (voilà du conseil)

Que doit-il écrire ? Eh bien on ne le sait pas !

L'obligation est posée et non-définie, voire indéfinie... La jurisprudence, au-delà de l'espèce, est chiche de précisions pour ne pas être chiche d'exigences.

Le client qui assigne l'avocat ne le sait pas non plus puisque, en l’espèce, il reproche "un peu tout" à son avocat : défaut d'information, de mise en garde et de conseil ! Il ne manque plus là que l'obligation de moralité ! L’incertitude touche le juge, comment peut-il réduire l’obligation de conseil à de la mise en garde quand le conseil semble englober tout bon conseil et donc toute mise en garde ?! Pourquoi ne reste-t-il pas sur le conseil ?

Il y a plus.

Pour ceux qui me suivent, vous savez que, depuis plusieurs années j'ai également posé la question (à propos des obligations des prestataires de services d'investissement) d'une obligation de conseil déontologique. Si le conseil consiste à déconseiller l'opération, alors le professionnel du droit ne peut pas et ne doit pas, ou ne devrait pas assister le client (rédiger l'acte). Concevoir ainsi l'obligation de conseil s'entend au plan de la logique classique, avec un effet automatique : ne pas instrumenter. C'est néanmoins une politique judiciaire ou juridique difficile à tenir car elle crée une "obligation de ne pas contracter", une obligation de ne pas faire du chiffre d'affaires...

Si je vous déconseille, je ne dois pas instrumenter.

Oui mais alors, et entre autres risques, cette obligation de conseil absolue peut faire dériver le contentieux vers de la rédaction pour autrui par des personnes qui ne seront pas des professionnels du droit… Bon...

Le juge doit rentrer dans ces problèmes et les purger, le pourvoi, tout le pourvoi et rien que le pourvoi cela ne suffit pas quand les questions sont titanesques ; il faut de petits ajouts qui font la jurisprudence avant d'avoir la rare occasion de clarifier les choses. Ce n'est peut-être pas la forme des arrêts qu'il fallait réviser, mais leur fond...

Bon, ici, le juge du droit semble dire votre obligation de conseil n'est pas du conseil c'est de la mise en garde : le client qui a reçu une mise en garde (en garder la preuve...) fait ensuite ce qu'il veut, et s'il veut acheter un fonds de commerce qu'il risque de perdre c'est son problème. On ne serait ni sur de la véritable obligation de conseil, encore moins sur de l'obligation de conseil déontologique, mais on parle d'obligation de conseil...

On pourra penser que ma critique est exagérée et le juge, impérial, pourra lui-même penser que sa jurisprudence est en ordre, bien posée et claire. La doctrine la fait du reste et probablement ronronner de notes consensuelles sur l'essentiel.

Nous tenons ce cas pour la preuve que tel n'est pas le cas.

Il conviendrait que le juge du droit dise comment on peut passer du conseil à la mise en garde, ou l'inverse (au fond, voire en procédure : sont-ce les mêmes moyens ?) ou pourquoi une conseil n'est parfois que de la mise en garde. Ou pourquoi la mise en garde vaut conseil qui pourrait parfois aboutir. Il y a un besoin d'afficher les liens logiques à la source de ces "balancements".

Même les avocats spécialisés peuvent "rater" un aspect de leurs obligations, la situation manque bel et bien de clarté. Ce n'est bon ni pour les avocats, ni pour la Justice - laquelle ne peut survivre sans eux. Le dit-on assez ?

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La responsabilité sous ses diverses formes n'est pas toujours d'une parfaite cohérence, on le tient de nombreuses analyses (ici quelques-unes publiées sur #directdroit). Les professionnels de la finance, aux statuts variés, mais aux règles toujours exigeantes, comme les professionnels du droit, ont formé notre réflexion. Il serait temps de "ré-étager" toutes ces obligations de façon plus pertinente et claire pour les professionnels et les plaideurs.

Quelques-unes de nos analyses sur la problématique information, mise en garde, conseil ou vigilance publiées ici :

Le-banquier-prestataire-de-services-d-investissement-PSI- n'a pas d'obligation-de-conseil mais-il-peut-avoir à vous conseiller...

Le-banquier-n-a-pas-d-obligation-de-conseil Zut-alors-on-aurait-jure-que...

Le-plaideur-la-nebuleuse-des-obligations-de-la-banque-l-assurance-et-le-mystere-des-juges

Le-conseiller-en-gestion-de-patrimoine n'est pas tenu, envers-son-client, même-non-averti, d'une-obligation-de mise en garde

Responsabilite-de-la-banque-PSI-dans-les-pertes-de-l-investisseur : la-crise-financiere-n-a-rien-changé

Sur l'embrouille généralisée construite sur l'idée de vigilance

Le-devoir-de-vigilance-de-la-banque, 100-fois-invoque-et-rejete -Com-22-janvier-2020- sur fond-de-confusion avec la compliance

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